Rémy Mazzocchi et Jean-Pierre Delfino : regard croisé sur le secteur et ses défis
Après quelques jours dans vos nouvelles fonctions, quels sont, selon vous, les enjeux clés en matière de formation et de ressources humaines pour notre secteur ?
Rémy Mazzocchi : Nous sommes dans une phase paradoxale : d’un côté, l'État insiste sur la nécessité de réduire certaines dépenses allant de pair avec la difficulté pour certaines structures d’investir dans la formation et les ressources humaines. De l’autre côté, notre secteur fait face à une demande pressante et urgente de ressources humaines, de développement, de fidélisation et de sécurisation des parcours professionnels. Cela crée une tension entre des moyens réduits et des besoins qui ne cessent d’augmenter. L’enjeu principal réside donc dans notre capacité à concilier ces deux réalités. Nous devons non seulement optimiser nos ressources, mais aussi attirer, former et retenir les talents. Cela est indispensable pour garantir un accès de qualité aux soins. Dans notre secteur, le manque de personnel se répercute directement sur la capacité à assurer les soins. Comme le soulignent souvent les professionnels : « Même lorsque l’équipe est réduite, le nombre de patients restent le même, il faut donc absorber une charge de travail supplémentaire. ». Il est donc crucial d'accompagner les structures dans la recherche de solutions concrètes à ces défis quotidiens.
Quelles seront les impacts de ces enjeux pour l’OPCO Santé ?
Rémy Mazzocchi : C'est justement avec ces enjeux que nos missions prennent tout leur sens. Nous devons jouer un rôle de facilitateur et de « tour de contrôle », avec la capacité d'identifier les besoins, de mobiliser les ressources nécessaires, de favoriser le recrutement et l'attractivité du secteur, et de soutenir le développement des parcours professionnels. L’objectif est d’accompagner nos adhérents et leurs salariés dans l’évolution de leur carrière, afin de les fidéliser et ainsi renforcer leur engagement dans le secteur.
Le rôle de l'OPCO Santé est de se déployer dans ce contexte complexe. Nous devons faire preuve de persévérance, de flexibilité et de proximité pour répondre au mieux aux attentes du terrain. Il est essentiel d’élaborer des plans stratégiques à trois ans avec nos adhérents, Dans notre secteur, les temps de formation sont longs, et les effets se mesurent parfois plusieurs années après, mais tout en restant réactifs et agiles face aux problématiques quotidiennes. Ce contexte particulier nous oblige aussi à faire preuve de pugnacité et d’intelligence afin d’exploiter tous les dispositifs disponibles : formations initiales, reconversions, certifications, et formations professionnalisantes. Nous devons tout explorer pour soutenir le secteur.
Enfin, nous devons aussi accompagner les branches dans leurs choix stratégiques, en les aidant à poser des diagnostics clairs et en mettant en œuvre des solutions de la manière la plus efficace possible.
Comment l’OPCO Santé a-t-il évolué ces dernières années ?
Jean-Pierre Delfino : Ce n’est pas tant l'OPCO Santé qui a changé, mais plutôt notre capacité à nous adapter aux évolutions de notre environnement. Nous n'avons pas évolué par choix, mais parce que c'était nécessaire. La dernière loi a apporté un véritable bouleversement dans nos métiers et nos activités, et nous avons dû nous ajuster aux nouveaux besoins et attentes de nos adhérents, qui sont très différents de ceux d'il y a 15 ans.
Avant, il suffisait de bien gérer les dossiers de formation. Aujourd'hui, les attentes portent davantage sur le recrutement et la sécurisation des parcours professionnels, avec la formation comme principal levier. Le secteur est particulier, car les structures ont peu de leviers en matière de politique RH. La progression des salariés est souvent liée à l'ancienneté, et la professionnalisation par la formation est devenue essentielle pour leur évolution. La formation est désormais un enjeu clé pour la fidélisation des salariés. C'est cette spécificité qui définit notre positionnement unique dans le domaine de la formation.
Rémy Mazzochhi, comment allez-vous organiser les 1ers mois de votre prise de poste ?
Rémy Mazzocchi : Je vais commencer par une phase d’écoute, en allant à la rencontre des délégations de l’OPCO Santé, des adhérents, des fédérations, et de tous les acteurs qui composent notre secteur. Cette proximité est essentielle pour bien comprendre les enjeux réels de chaque structure. Cette phase devrait s’achever d’ici la fin de l’année et me permettra d’avoir une vision globale avant de poser les bases d’un programme pluriannuel sur 3 à 5 ans. L’objectif est de s’adapter en permanence aux besoins du secteur, voire les anticiper.
La seconde phase consistera à décliner les observations en objectifs concrets. Nous profiterons de l’année 2025 pour aligner ces objectifs avec les attentes du terrain, aussi bien en interne qu'en externe. Tout cela devra être en cohérence avec le budget et les orientations financières de 2025. Cela nous permettra de préparer une approche pluriannuelle, comme le demande la convention d'objectifs et de moyens, tout en tenant compte de la nature même des formations longues que nous finançons.
Quels seront les 1ères priorités ?
Rémy Mazzocchi : La première priorité sera de renforcer l'ancrage institutionnel de l'OPCO Santé. Il est essentiel que nous soyons pleinement intégrés dans notre écosystème institutionnel et partenarial, et que nous démontrions clairement notre exemplarité de gestionnaire et notre valeur ajoutée. Il s'agit de montrer en quoi nous sommes un acteur incontournable dans la chaîne de valeur, que ce soit auprès des partenaires sociaux, de l’État, de nos interlocuteurs ou dans le domaine de la formation professionnelle.
La seconde sera d’adopter une approche véritablement orientée service. L’objectif sera de toujours penser à l’utilité, l’efficacité, l’accessibilité et la simplicité des services que nous offrons. Nous devons nous assurer que notre action aide concrètement nos adhérents à sécuriser les parcours professionnels, car c’est un enjeu fondamental dans notre secteur. Cela implique aussi de moderniser nos processus en tirant parti des nouvelles technologies. Par exemple, nous allons améliorer notre système d’information pour qu’il soit plus fiable, transparent et facile d’utilisation, tout en développant nos données et des outils plus performants pour répondre aux besoins des adhérents.
La dernière sera de plaider pour un renforcement de l'investissement dans l'attractivité de notre secteur et la sécurisation des parcours professionnels. La progression salariale y est directement liée, ce qui rend cette sécurisation d’autant plus cruciale pour attirer et fidéliser les talents.
Jean-Pierre Delfino, quel bilan tirez-vous de votre mandat à la tête de l’OPCO Santé ?
Jean-Pierre Delfino : Je tire un bilan très positif, surtout en ce qui concerne la fidélité de nos adhérents. Ils ont traversé de nombreuses épreuves avec nous sans jamais remettre en question la confiance qu'ils nous accordent. Cette confiance, qui s'est construite au fil des années, est aujourd'hui bien ancrée. Nous avons connu une croissance remarquable, et cette réussite repose en grande partie sur cette relation de confiance. Au cours des douze dernières années, la qualité des services de l’OPCO a véritablement gagné en sophistication, offrant des prestations personnalisées adaptées à chaque adhérent. En cinq ans, l’OPCO Santé a su s’installer solidement.
Nous avons également lancé en avril dernier, une campagne grand public, qui est un élément stratégique dans un contexte de forte concurrence entre les secteurs d’activités. Cela illustre ce qu’un OPCO peut accomplir et ce que l'écosystème ne peut pas réaliser seul. Nous avons fait preuve d’innovation, mais c’était un premier pas qui s’inscrira dans la durée, car nos adhérents attendent de nous que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour les soutenir.
En revanche, il y a des aspects négatifs, comme la perte de certaines solutions de financement pour les salariés, notamment le droit individuel à la formation. Nous avions auparavant des dispositifs distincts pour les entreprises et les employés. Même si nous avons réussi à créer une solution alternative avec les ATPro qui s'est avérée efficace, cette perte reste regrettable, tout comme celle du conseil en évolution professionnelle, qui nous offrait la possibilité de nous adresser directement aux professionnels.
Le mot de la fin ?
Rémy Mazzocchi et Jean-Pierre Delfino : Cette passation ne signifie pas un ralentissement, mais plutôt une dynamique qui se renforce et se poursuit. Nous sommes fiers du chemin parcouru et très enthousiastes quant à l’avenir, même dans un contexte politique incertain. Soyons positifs pour l’avenir et donnons-nous rendez-vous en 2025 pour la suite.